Mon corps de femme défectueux

Par Stéphanie Dumas


Lorsque mon conjoint et moi avons décidé de fonder notre famille, je ne me doutais pas de tout ce que ce projet, qui semble si naturel, allait nous faire vivre.


Les mois passaient et l’excitation du départ faisait lentement place à l’inquiétude et à la frustration. Pourquoi ne tombais-je pas enceinte ? Après 1 an d’essais, nous avons consulté en clinique de fertilité. Les tests n’ont rien révélé d’anormal. Selon eux, j’avais simplement besoin d’un petit coup de pouce, ce qui a effectivement semblé être le cas puisqu’à ma troisième insémination, j’ai obtenu un test positif. Par contre, ce petit bébé ne s’est pas accroché. J’ai fait une fausse couche. Et ce fut le cas pour les six autres bébés qui ont suivi, rapidement envolés de mon bedon. Toutefois, mon histoire n’est pas uniquement une histoire de fausses couches.


Lors de ma troisième grossesse, j’ai ressenti de vives douleurs au bas ventre durant la nuit. J’en étais à six semaines de grossesse, environ. Nous avons découvert que le bébé était dans ma trompe gauche. L’injection de méthotrexate utilisée pour faire nécroser et sortir le bébé a suscité de vives craintes, rendant cette expérience particulièrement difficile. Qu’arriverait-il si cette procédure d’interruption de grossesse ne fonctionnait pas et que je devais être opérée ? Pour la première fois, j’ai eu peur pour moi. 


Après la quatrième perte, j’ai décidé que les traitements étaient terminés pour moi. Les hormones m’affectaient énormément, je ne me reconnaissais plus et mon corps était fatigué. Je me sentais coupable de dire à mon conjoint qu’il n’aurait pas d’enfant(s) biologique(s) en raison de mon corps défectueux. Je lui ai même proposé de me quitter pour avoir la chance de fonder une famille avec une autre.


Il a décidé de commencer l’aventure de la banque mixte avec moi. La banque mixte relève du Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ). Les enfants placés de cette catégorie ont peu de chance de retourner dans leur famille biologique. Ces enfants sont donc confiés à des familles d’accueil à long terme. La finalité souhaitée des parents d’accueil est l’adoption, ce qui est possible lorsque l’enfant a vécu un certain temps dans la famille et que l’on conclut qu’il ne pourra pas retourner vivre avec ses parents biologiques. 


Les mois ont défilé. Puis, un jour, une surprise est arrivée. J’étais tombée enceinte naturellement. C’est alors que nous avons retrouvé l’espoir. À la sixième semaine, nous avons vu son cœur battre lors de l’échographie. Nous étions heureux. Nous avions une autre échographie prévue trois semaines plus tard, que nous attendions avec impatience.

Malheureusement, le rêve s’est alors brisé : son petit cœur ne battait plus. J’ai dû prendre une pilule le soir même pour « accoucher » du petit être à la maison. J’ai tellement souffert physiquement et mentalement. Je ne peux même pas décrire la nuit que mon conjoint et moi avons traversée. Après plusieurs heures de contractions, ce petit être est sorti. Nous avons été en mesure de le récupérer dans la cuvette pour le faire analyser. Nous avons appris quelques semaines plus tard qu’il était trisomique. Il s’agit peut-être de la raison pour laquelle mon corps l’a rejeté. Je me suis juré de ne plus jamais être enceinte.


Les mois ont continué de passer et nous avons continué les démarches pour la banque mixte. Nous avions aussi un rendez-vous pour parler de l’opération visant à retirer mes trompes. Toutefois, la pandémie mettait sur pause les opérations qui n’étaient pas urgentes. Je dois reconnaître que nous avons commencé à être « délinquants » après quelques mois. On m’avait dit que j’avais seulement 1 % de chance de tomber enceinte naturellement. Mon cycle était aussi devenu irrégulier au cours de l’année.


 À notre grande surprise, je suis tombée enceinte naturellement une deuxième fois. Toutefois, je n’étais même pas heureuse d’être enceinte, ce qui peut sembler impossible alors que nous avions tout tenté pendant des années pour fonder une famille. Or, c’est la vérité. J’avais très peur de souffrir de nouveau. Mes craintes furent fondées puisque ce bébé s’était également logé dans ma trompe gauche. Après 2 injections de méthotrexate, il était toujours là, sans que nous le sachions. En effet, mes hormones descendaient, mais le bébé continuait de grandir. Le soir du 2 janvier, je me suis effondrée. La trompe avait éclaté. Je me suis retrouvée à l’hôpital en douleur avec une hémorragie interne. J’ai dû être opérée d’urgence et l’une des gynécologues de garde a accepté de retirer mes deux trompes, à ma demande, alors que l’autre refusait malgré mon récit et mon désir. Je me suis sentie libérée de cette fertilité qui, depuis des années, me faisait tant souffrir, et de cette pression de procréer qui repose sur les épaules des femmes. Comme s’il s’agissait de mon destin, nous avons accueilli, peu de temps après, un beau bébé de la banque mixte.


Mon rôle à moi était, en fait, d’être une maman de cœur.