Maman, tu as toujours été une femme forte, pleine de caractère et de vie, mais les dernières années de ta vie ont été remplies d’épreuves qui t’ont fait perdre petit à petit la force et l’énergie pour les affronter. Le 29 novembre 2013, tu en as eu assez de toute cette souffrance et tu as décidé de quitter notre monde pour rejoindre la lumière. Ma mémoire n’effacera jamais ce matin-là, où papa m’a annoncé ton décès au téléphone. À cet instant, il n’y avait pas que ton cœur qui avait cessé de battre, mais le mien aussi. Le cœur de ton petit bébé à qui tu avais promis de te raccrocher à la vie. J’ai crié, hurlé de douleur à en fracasser les murs comme si faire cela m’aurait permis de me réveiller de ce cauchemar. Je t’en ai voulu à cet instant de ne pas avoir tenu la promesse que tu m’avais faite. Je t’en ai voulu à cet instant d’abandonner tes quatre enfants.


J’avais 23 ans lorsque cette tragédie est survenue dans ma vie. J’avais encore la tête dans mes livres d’université, bien loin de penser à fonder une famille. À ce moment, je savais déjà que ton absence se ferait davantage ressentir dans les moments clés de ma vie. J’obtenais mon baccalauréat et réalisais enfin mon rêve d’être acceptée en médecine. Lors de la collation des grades, papa était assis seul parmi tous ces parents se réjouissant du succès de leur enfant. Il manquait ma supporter numéro 1 à ses côtés. Celle qui a toujours plus cru en moi que moi-même. J’aurais aimé que tu voies que j’y suis parvenue, parce que, comme tu le disais si bien, quand on veut, on peut.


Les années sont passées et les études ont fait place au désir profond d’avoir un enfant. Nous avons consulté en clinique de fertilité qui nous a menés aux inséminations. Ayant le syndrome des ovaires polykystiques, je savais que ce ne serait pas un chemin facile, mais jamais je n’aurais pensé que tomber enceinte un jour serait aussi long et difficile. Difficile pour le corps, mais surtout pour mon cœur et mon moral parce qu’avoir un enfant était ce que je voulais le plus au monde. Je ne peux compter tous les examens que j’ai faits, les pilules que j’ai dû avaler et les piqûres que je me suis faites. Sans oublier le nombre de deuxièmes petites lignes roses invisibles qui m’ont fait mal à en pleurer. Sans oublier les annonces de grossesse à profusion autour de toi qui te rappellent que, toi, tu n’y arrives simplement pas, à avoir la vie en toi. J’aurais eu besoin de toi, maman, pour me dire que les miracles existent et que le mien arriverait bientôt. J’aurais eu besoin de toi, maman, pour me jouer dans les cheveux en me disant que tu comprends ma peine, lorsque je pleurais en boule dans mon lit chaque jour 1 de mon cycle. J’aurais eu besoin de toi, maman, pour me dire que ma persévérance et mon entêtement à aller au-delà des 4 inséminations prescrites par notre médecin payeraient, malgré toutes les statistiques qui étaient contre nous.


Le 2 décembre 2020 a été une journée très spéciale. Non seulement parce que c’était la date de ton anniversaire de naissance, mais aussi parce qu’avait lieu notre 7e insémination, et la dernière avant une petite pause. J’étais épuisée mentalement des montagnes russes d’émotions qu’apporte un cycle d’insémination chaque mois. Quelques jours plus tôt, le 29 novembre, j’avais passé ma dernière échographie en vue de cette insémination. Comme c’était la date de ton décès, j’avais fait un petit détour au columbarium pour te rendre visite et te demander d’être là pour moi et avec moi. Cette 7e insémination aura été la bonne. Enfin, mon petit miracle que j’attendais depuis si longtemps s’était installé bien au chaud dans mon ventre. Certains sont sceptiques, mais, moi, maman, je sais que tu y as déposé une poussière d’ange. J’aurais juste aimé pouvoir te l’annoncer et te serrer dans mes bras. J’aurais aimé pouvoir voir l’émotion envahir tes yeux. J’aurais aimé recevoir tes précieux conseils lors de ma grossesse, parce que tu as tellement aimé ces mois à nous faire grandir en toi. J’aurais aimé aller magasiner les petits vêtements de bébé avec toi, une activité toute simple dont j’ai secrètement rêvé. J’aurais aimé vivre cette première grossesse avec cette femme si proche de moi et dont l’expérience et la tendresse auraient apaisé mes angoisses. J’aurais aimé que tu me tiennes la main à mon accouchement et que tu me souffles à l’oreille de suivre chacune des vagues. J’aurais aimé que tu prennes ta nouvelle petite-fille dans tes bras et que tu me dises à quel point elle est belle et douce, mais, surtout, à quel point tu l’aimes, toi aussi.


Vivre la maternité sans toi, maman, je n’aurais jamais imaginé à quel point c’est douloureux. Maintenant que je suis moi aussi une mère, j’aurais besoin de la mienne plus que jamais. J’aurais aimé que tu puisses me voir dans mon nouveau rôle de mère et que tu me dises que mes inquiétudes et mes angoisses sont normales et que je ne peux pas tout faire, mais simplement faire de mon mieux. J’aurais aimé que tu me dises que je suis une bonne maman pour ma fille.


Si tu savais comment la jalousie et l’envie m’envahissent parfois lorsque je vois de jeunes mamans entourées de la leur. J’aurais juste envie que ces jeunes et nouvelles mamans comprennent leur chance de l’avoir et ne la tiennent jamais pour acquise. Devenir mère sans la sienne, c’est quelque chose à laquelle on ne pense pas, qui ne se peut pas. Même à l’âge adulte, l’enfant en nous nous dit que Maman sera toujours là. Jusqu’au jour où elle disparait en laissant derrière elle un vide immense.


Depuis que je suis maman à mon tour, j’apprends à me faire davantage confiance et à avoir confiance en mes ressources pour donner ce qu’il y a de mieux à ma fille. Je ne te dis pas que c’est chose facile, mais je fais de mon mieux. Tu n’es plus là pour m’accompagner dans cette aventure qu’est la maternité, mais je sais qu’il y a plein de belles personnes autour de moi pour m’aider et pour rendre ton absence moins douloureuse. Et puis, tu sais, maman, j’ai eu le meilleur des modèles en t’ayant comme mère ; cela m’aide à devenir meilleure et plus zen face à ma nouvelle vie de maman.


*À toi, ma belle Leyla, merci de m’avoir donné le plus beau rôle de ma vie : celui d’être ta maman.