Alice

Par Maude Carrière (Photographe)


Ma fille est décédée durant la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2019. Elle avait 16 mois. Rien n’explique le décès d’un enfant, encore moins d’un enfant en santé. Après deux ans, il n’y a toujours pas de réponse au pourquoi, au comment. Elle s’est endormie un soir, et son petit cœur a cessé de battre. 

 

J’ai été à l’hôpital de 4 h à 14 h environ, à lui dire mes derniers au revoir. J’ai caressé ses cheveux pour une dernière fois, je l’ai bercée pour la dernière fois, et je lui ai dit que je l’aimais, encore et encore. Si je ferme les yeux et que je pense à ces moments-là, c’est la sensation de froideur de sa peau qui me vient en tête, comme si je pouvais encore la sentir au bout de mes doigts. Son front était glacial quand je passais mes mains dans ses cheveux. Quand j’effleurais sa peau de bébé encore toute douce, c’était cette même froideur qui me surprenait. Je me souviens également de toutes les fois où j’ai regardé l’horloge de la salle où j’étais. Les minutes s’écoulaient à vive allure, alors que mon temps avec elle était compté. J’appréhendais vraiment le moment où j’allais devoir la laisser partir pour la morgue. Jamais je n’aurais pensé devoir vivre ce moment. Voir la civière passer devant soi avec le corps de son bébé dans un sac noir, c’est réellement le pire cauchemar d’un parent. 

 

J’ai vécu pendant un bon moment sur le pilote automatique. J’ai dû prendre des antidépresseurs après son décès pour me calmer. Ils ont, en quelque sorte, engourdi mes émotions. J’avais de la difficulté à pleurer. J’ai continué à travailler, et, bien que j’aie annulé quelques contrats, j’en ai tout de même honoré la semaine suivante. Trois semaines plus tard, j’étais de retour pour la fondation Portrait d’Étincelles. Cette fondation offre un service de photographie pour les parents de bébés décédés in utero ou à la naissance afin qu’ils puissent conserver des souvenirs. À y repenser, je ne comprends pas comment j’ai pu être capable de retourner aussi rapidement à la fondation. Je voulais aider d’autres parents comme moi, mais, en même temps, étais-je vraiment prête ? Je ne sais pas. Je n’arrivais pas à trouver d’autres gens qui avaient vécu la même chose que moi et avec qui je pouvais discuter. Je me sentais seule alors que j’étais très bien entourée. 

 

Mon garçon est celui qui m’a aidé à garder le cap. Je n’avais pas le choix d’être fonctionnelle et présente pour lui. Je crois qu’il m’a, en quelque sorte, sauvée d’une dépression. Il me donnait une raison de me lever chaque matin. 

 

Un an plus tard, j’ai reçu l’appel concernant les résultats de l’autopsie. On m’a confirmé que l’autopsie n’avait rien révélé qui pouvait expliquer son décès. La dame au téléphone m’a énuméré tous les endroits où ils avaient fait des prélèvements. Mon cœur s’est serré fort. J’imaginais mon bébé sur une table froide, à se faire autopsier, et cette image n’a jamais quitté mon esprit. Ensuite sont venus les tests de génétique qui, eux aussi, n’ont pas été concluants. Je n’aurai donc jamais de réponses.

 

Étant donné que je côtoie régulièrement des familles en raison de mon métier, j’ai dû apprendre à répondre à cette fameuse question : « combien as-tu d’enfants ? » Encore aujourd’hui, j’y réponds un peu maladroitement. Je crains de vous faire peur en répondant que j’ai deux enfants, mais que l’un d’eux est décédé, alors ma réponse change de temps en temps. 

 

J’ai une pensée pour ma fille tous les jours. Je la vois beaucoup à travers les enfants que je côtoie. J’ai deux amies proches qui ont des petites filles du même âge qu’Alice et chaque fois que je les vois, elles me font penser à ma fille. C’est comme si je suivais le développement de mon enfant à travers ceux des autres, maintenant.  

 

Depuis son décès, j’en ai fait, du chemin ! Je vis pour moi et pour elle maintenant. C’est difficile d’admettre qu’on est heureux après la perte d’un enfant, mais je peux le faire aujourd’hui, je peux le dire : je suis heureuse. La douleur ne partira jamais, mais j’ai bâti mon bonheur autour d’elle. Cette douleur me rappelle que ma fille a bel et bien existé. Je suis chanceuse d’avoir un amoureux qui est là pour me soutenir et un petit garçon qui me dit chaque jour qu’il m’aime et qui me fait de gros câlins quand je vais moins bien.


N’ayez pas peur de prendre des nouvelles des gens que vous aimez vivant un deuil, que ce soit la semaine même ou deux ans plus tard. Savoir que quelqu’un pense encore à nous fait toujours du bien.