Ce lien d’attachement

par Kelly-Ann

 

Avant de tomber enceinte, on s’imagine déjà les premiers moments avec bébé. Si doux, ils sont remplis de tendresse, de longs regards enveloppants… L’amour inconditionnel, quoi.

 

Une fois enceinte, on planifie ces premiers moments. Tous les livres, les textes ou les professionnels qui abordent le sujet de la maternité vous parlent des soins de bébé, des premiers mois, de la bienveillance, du lien d’attachement, etc. Les cours prénataux mettent l’accent sur le lien d’attachement mère-enfant, surtout, mais aussi celui avec le papa, pour bien le comprendre et le mettre en place. On lit les témoignages de parents qui disent que, dès le premier regard, c’était l’amour fou, un amour jamais ressenti, que ça fait mal tellement c’est fort.


Nulle part, on ne lit le contraire. Personne ne m’a avertie que l’apparition de ce lien pouvait prendre du temps. Que même si j’avais fait du peau à peau, que ce bébé était attendu, que c’était un bébé arc-en-ciel, en plus d’être un bébé issu d’une aide en fertilité, je n’allais pas ressentir cet attachement avant longtemps. 


Personne ne nous prépare à un bébé qui pleure 7 à 10 heures par jour, ni à un bébé qui ne dort que sur nous, en position assise sur le divan, pendant 8 semaines, ni à un bébé qui est en crise en voiture, dans le bain, en poussette, dans le porte-bébé, dans sa chaise berçante. Personne ne nous prépare à perdre cette bulle, notre bulle. On ne parle pas de la surstimulation que l’on peut ressentir à cause des cris, des pleurs, des touchers constants. On ne nous avertit pas que le lien d’attachement peut être difficile à cause de tous ces facteurs. Et, vous savez quoi? C’est normal! 


J’ai regretté mon bébé. Mon bébé tant désiré. J’ai tellement pleuré. Autant parce que j’étais à bout de souffle que parce que je me sentais si ingrate de ressentir cette antipathie. Un soir où elle hurlait depuis des heures, je me suis excusée à mon conjoint. Je me suis excusée d’avoir amené cet enfant dans notre couple. Je m’ennuyais de lui, je m’ennuyais de moi, elle prenait trop de place. Cette enfant, je l’ai détestée, j’ai voulu m’en défaire, j’ai ressenti de la haine envers elle. J’écris ces mots, et je sais que certaines me jugeront. Maintenant, je trouve que c’est terrible à dire, mais je l’ai vraiment vécu. Je suis pourtant une femme très équilibrée, sans antécédents médicaux en santé mentale, et très joyeuse en temps normal. J’ai pourtant compris comment des parents pouvaient en venir à secouer un bébé (sans excuser le geste, bien entendu). Ce bébé a fait sortir le pire en moi.


Nous avons consulté plusieurs fois pour elle et pour moi. Pour ma part, j’ai eu une référence en psychologie, mais avec les délais de notre système, je n’ai jamais été vue. Pour ma fille, ça aura pris plusieurs visites en urgence pour être pris au sérieux concernant l’intensité et la durée des pleurs. Tous les professionnels, absolument TOUS, nous disaient que c’était normal un bébé qui pleure, que c’est difficile les premières semaines, qu’on était dans un pic de coliques, qu’on devait faire avec. Puis, finalement, notre bébé a reçu un diagnostic de reflux gastro-œsophagien, d’intolérances, et d’allergies suspectées. Elle a été médicamentée et nous avons changé son lait plusieurs fois pour trouver la bonne recette pour elle. Ma fille a arrêté de pleurer et de hurler sans arrêt autour de 8 semaines. 


Pour ce qui est de notre entourage, ce n’était pas vraiment différent comme commentaire, et ce, jusqu’au jour où ils voyaient notre réalité. Des gens m’ont dit que ce que je disais (que je regrettais et ne ressentais pas d’amour pour ma fille) était vraiment grave. D’autres m’ont dit que j’avais peut-être mis mes standards de maternité trop élevés. Personne ne m’a dit avant longtemps que ce que je ressentais était légitime. 


Aujourd’hui, ça va mieux. Ça aura pris plusieurs mois pour construire notre lien. On s’aime et on rit beaucoup ensemble. J’adore la voir grandir et évoluer. Je suis encore triste de n’avoir aucun joli souvenir en mémoire des premières semaines.


À toi, la maman qui se sent ingrate de ne pas ressentir d’amour inconditionnel envers son nouveau-né, je t’envoie beaucoup de douceur. On apprend nous aussi à devenir mère, et on n’apprend pas toutes de la même façon. J’espère qu’on lira davantage de récits comme le mien pour que celles qui vivent ce genre de situation puissent se reconnaître et se sentir moins seules.