Témoignage ma vie de maman

par Déborah Beauchemin


Depuis déjà plusieurs jours, je tente de trouver les mots pour exprimer simplement ma réalité de maman, mais par où commencer...

Souhaiter fonder une famille comblée avec des enfants biologiques un peu comme tout le monde, devenir parents et tout devoir à un petit être créé à partir de nous deux; c’est ce que nous désirions Stéphane et moi. Certainement avec une immense naïveté de ce que représente le don de soi de ma part, mais nous voulions avoir notre petit noyau familial à nous. Après plus de 10 ans de vie commune et plusieurs situations pas toujours simples à traverser, nous étions rendus là!


Grossesse parfaite sans aucune anicroche, menée à terme sans aucune difficulté avec un accouchement naturel sans complication, que demander de plus! C’est le 22 janvier 2019 qu’est arrivée Raphaëlle dans notre vie. Nous sommes très choyés, notre magnifique et petite beauté est en pleine santé... jusqu’au 27 mai 2019. Notre paisible petite vie de famille venait de basculer, d’être complètement chamboulée sans s’en rendre compte réellement.


À tout juste 4 mois, Raphaëlle fait sa première crise d’épilepsie qui ne s’est pas arrêtée à être l’unique. S’en est suivie d’environ une crise par mois qui arrive sans crier gare et qui dure de 25 minutes jusqu’à plus d’une heure et demie. Avec une si longue durée de crise, elle se transforme en status epilecticus nécessitant l’appel au 911, la salle de réanimation à l’urgence, les transports inter-hospitaliers pour finir par des hospitalisations parfois aux soins intensifs, parfois durant plusieurs jours pour tenter d’expliquer le pourquoi de cette santé si fragile.

Nous avons rencontré une multitude de spécialistes de la grande famille de l’hôpital Ste-Justine: neurologue, pédiatre, ophtalmologue, physiatre, gastroentérologue, allergologue, équipe de dysphagie avec nutritionniste et équipe de soins palliatifs pour des soins de confort. Comme son développement moteur est également compromis, nous côtoyons sur une base régulière ergothérapeute, physiothérapeute, travailleuse sociale, éducatrice spécialisée de centres de réadaptation en déficience physique et intellectuelle afin de favoriser le développement du plein potentiel de Raphaëlle. Moi qui souhaitais me tenir le plus loin possible des hôpitaux et du système de la santé...


Avec ces épreuves répétées qui se sont transformées, accentuées dans le temps et encore non stabilisées aujourd’hui, j’ai fini par enregistrer les termes médicaux spécifiques de notre fille : malformations cérébrales de naissance non diagnostiquées pendant la grossesse et non opérables à ce jour, provoquant une épileptique réfractaire à la médication et une quadriparésie spastique de la grande famille de la paralysie cérébrale. Raphaëlle fait partie de la grande famille des enfants à besoins particuliers, des enfants polyhandicapés.

Depuis trois ans, je m’efforce donc de faire tout ce que je peux pour le bien-être de notre fille. Entre autres, j’administre les rendez-vous, j’accompagne et j’assiste aux nombreux suivis médicaux chaque semaine, sans compter toute la stimulation à domicile avec les exercices de développement (avec ou sans aide technique) que j’effectue. Je subis les crises et je les gère du mieux que je peux. Je fais toutes les recherches et démarches possibles et inimaginables pour trouver une garderie (demandant beaucoup plus d’adaptations) et obtenir ainsi un peu de répit afin d’éviter l’épuisement de nos familles bien présentes. Je prépare des repas pour la diète particulière de Raphaëlle comme elle ne tient pas encore sa tête et ne prend rien dans ses mains. Tout ça, c’est sans oublier la charge mentale de maman au quotidien et la simple vie de famille.


Comment faire pour encaisser cette réalité? Comment accepter tout ce qui nous tombe dessus sans arrêt? Comment vivre avec tant d’inconnus? Comment éviter la comparaison avec les enfants de mes amies du même âge que Raphaëlle et avec les familles que nous côtoyions vivant le parfait bonheur en réalité ou au travers la vitre des réseaux sociaux..?

C’est apprendre à faire le deuil de l’enfant autonome qui mange seule, marche et parle. C’est apprendre à vivre avec l’incertitude au quotidien, avec l’inquiétude face à l’avenir, avec peu de réponse. C’est investir beaucoup de temps, de douceur à soi-même et d’énergie pour de l’introspection afin de mieux m’ajuster à cette réalité par moments si souffrante. C’est abandonner ma carrière d’enseignante pour devenir proche aidante auprès de notre fille sans grande considération. C’est s’oublier jusqu’à ce que la grande équipe nous entourant devienne inquiète de la limite atteinte de mes capacités de maman, de ma santé mentale, plus que la santé de notre fille.

Faut-il être vraiment prête à vivre et supporter tout ça quand l’idée nous vient d’avoir des enfants et que la décision commune se prend? Je me dis souvent que chaque maman essuie aussi son lot de misères et de difficultés, que ma situation n’est pas la pire ou plus difficile qu’une autre maman...

Mais ce n’est clairement pas ce que j’ai tant désiré ni planifié.


Je vis un jour à la fois, parfois une minute à la fois quand c’est trop difficile. Je tente de digérer ce qui nous arrive une petite partie à la fois en le verbalisant le plus souvent que possible : parfois en ayant l’impression de « plafonner » et de tourner en rond, parfois en accomplissant des pas de géants, souvent en pleurant toutes les larmes de mon corps. J’essaie d’accueillir cette douleur, ce découragement, cette colère, cette peine qui m’habite et de les évacuer avec des stratégies efficaces pour rendre ma vie la plus confortable que possible.

Je fais ce que je peux, de mon mieux avec l’énergie que j’ai.


Depuis trois ans, j’ai d’abord réussi à garder le cap avec mon amour, Stéphane, le merveilleux papa si attentionné de notre adorable Raphy. Ensuite, je suis parvenue à faire confiance à une équipe incroyable et à m’entourer d’une garde rapprochée qui sont là quand il le faut pour me permettre de ventiler et de traverser chaque moment de ma vie de maman. Je leur en suis infiniment reconnaissante pour tout ce soutien. Sans eux, je ne serais jamais la femme, amoureuse et sœur/cousine/amie que je suis. Enfin, je constate, jour après jour, que Raphaëlle nous apporte beaucoup. Son regard avec ses yeux à fendre l’âme, son petit air coquin avec son sourire ravageur, nous témoignant tout son amour et sa joie de nous retrouver au matin levant, ou ses éclats de rire dynamiques et communicatifs lors de chatouilles ou de jeux ensemble me comblent de bonheur. Son désir de vivre, malgré ses instabilités épileptiques et ses limitations physiques, me pousse à continuer avec et pour elle. La moindre évolution, le minime progrès deviennent d’immenses victoires pour nous. Son être charmeur me permet de m’arrêter à l’instant présent et de m’autoriser à ralentir dans la vie effrénée. Je me donne le droit de passer du temps de qualité, collée à ses côtés, sans jugement ni critique envers moi-même. Sans elle, j’aurai probablement été rapidement envahie entre « métro-boulot-dodo » et je ne serai jamais la maman courageuse et forte que je suis devenue.

Finalement, je recherche encore l’équilibre dans ma vie, à la fois différemment et un peu comme tout le monde!