Les cheveux sales, un café qui refroidit pas loin, deux enveloppes vides de barre tendre dans les poches, un coton ouaté taché de vomi remonté à moitié, les yeux qui passent en revue la page des nouveautés chez Sephora sur mon téléphone… Ça, de 7 à 20 fois par jour. J’aurais aimé dire que l’allaitement est un moment magique, empreint de douceur, de complicité et d’amour, mais, pour moi, ce ne l’est pas. Tout comme les brassées de lavage incessantes, c’est une corvée. J’ai allaité mes enfants à la demande, et ce, sans réfléchir, de façon mécanique. J’ai passé des heures à me demander pourquoi je n’étais pas capable d’apprécier ce moment et la chance que j’avais, par le fait même. 


J’ai allaité ma première et j’allaite encore mon deuxième. J’allaite parce que c’est plus facile, à mes yeux, que de laver, stériliser et chauffer un biberon. J’allaite parce que je peux. J’allaite parce que c’est ce qu’on me dit qui est mieux. J’allaite, mais c’est difficile, même si je l’ai « facile ». 


Au travers de mes deux parcours d’allaitement, nous avons surmonté l’hypoglycémie avec top up, le reflux RGO, le besoin de Prevacid, les freins de langue, l’intolérance aux protéines bovines et le régime d’éviction ; le tout, sans compter une pincée de changements hormonaux, une soif constante même si tu bois 14 litres d’eau, la douleur de te faire mordre, le regard des passants lorsque tu allaites en public, le sentiment amer de voir que ton corps et tes seins changent, la peur qui prend au ventre lorsque tu sens une bosse sur un sein un soir dans le bain, ou encore le coût des nombreuses visites chez l’ostéo, le chiro ou le physio pour régler les bobos posturaux. On pourrait y ajouter aussi ces phrases tant entendues et beaucoup trop communes :

– Allaiter, ça fait maigrir.

Haha, ‘est bonne. Je suis un ogre fait de bagels, de chocolat et de café.  

– Je pense qu’il a faim.

Nope. Il a bu il y a 17 minutes, mais c’est correct, je vais le reprendre. 

– Il ne fait pas ses nuits ? Ah…

… Merci du commentaire inutile.

– Il/elle ne prend pas de suce/biberon ? As-tu essayé la marque x/y/z ?

Oui, 20 sortes minimum. Après 200 $ gaspillés, on passe à un autre appel. 


Dépassée, fatiguée, sans alliés, empreinte de conseils non sollicités, je me couchais le soir en appréhendant les réveils. Allaiter, c’est un emploi à temps plein. C’est se dévouer corps et âme pour nourrir le corps et le cœur de notre enfant. L’apaisement que peut offrir notre sein est une bénédiction, il suffit de sortir un sein pour ainsi calmer la tempête. Il s’agit de quelque chose de si naturel, mais qui crée tant de commotions et de division. Comment faire abstraction des autres, de ma fatigue, de mes émotions, et continuer ceci 5, 10, 15 ou même 25 fois par jour ?


Mon allaitement fut parsemé d’embûches, mais le plus gros fardeau fut ma culpabilité. Dois-je absolument éprouver une connexion ? Pourquoi ne suis-je pas capable de me concentrer sur le moment que je partage avec mon enfant ? Je commence à assumer mes émotions et à accepter que, pour moi, il n’y a pas de magie. Au fond, j’allaite parce que je suis lâche. Les biberons me semblent compliqués. Un p’tit bébé la bedaine pleine qui fait un p’tit sourire, et une maman épanouie, c’est ce qu’on veut, peu importe le moyen. Fed is best, et on ne le dira jamais assez.